Il y a un rien qui n'est pas perdu

Le Rosaire, synthèse de tout ce que le peuple chrétien est capable de penser et de dire au Christ. La Vierge Marie, émergence d’une nouveauté rédemptrice. « Avvenire », 30 avril 2000, p. 1
Luigi Giussani

« Quos redemisti, tu conserva, Christe » : ceux que tu as sauvés – ceux que tu as voulus, projetés pour toi-même –, sauve-les, conserve-les, ô Christ. Sauve-les, dans quelque circonstance que tu les fasses vivre. C’est avec certitude que nous crions à Dieu notre reconnaissance. « Ceux que tu as sauvés, conserve-les, ô Christ. » Ceux que tu as appelés. Chacun de nous a été appelé, touché par le doigt du Seigneur, envahi par la flamme du cœur.

La réponse à cette élection réside toute entière dans la prière dont nous sommes capables. Notre réponse est une prière, pas une capacité particulière ; c’est seulement l’élan de la prière. Nous entrons dans le mois de mai. Le peuple chrétien, depuis des siècles, a été béni et confirmé dans sa tension vers le salut, me semble-t-il, par une chose particulière : le Saint Rosaire. Le Rosaire est comme la synthèse de tout ce que le peuple chrétien est capable de penser et de dire au Christ.

La synthèse de tout le programme de rédemption du monde, de la dignité à reconnaître, d’une charité à vivre, dans la victoire sur la mort par la crucifixion ; non, pas par la crucifixion, mais par la résurrection. Car nous sommes sauvés par la résurrection.

L’usage du Saint Rosaire, la méditation de ce qu’il nous impose, le Mystère qui se révèle en lui, est la certitude de ce que la mère de Jésus peut faire pour notre vie, fait pour notre vie. Jésus ne s’est pas bougé pour nous pour perdre son temps.

Ainsi, les mystères joyeux, qui viennent avant les mystères douloureux, les mystères de la joie – gaudium –, les mystères joyeux nous ramènent, nous rappellent le mystère de la nouveauté – l’annonce de l’Ange –, la charité envers sa cousine Elisabeth, la naissance de Jésus, la purification de la Vierge et l’offrande du Christ au Père, la vie apparemment insignifiante de Jésus à Nazareth. Ce sont des souvenirs dans lesquels s’égrène et prends corps l’emprise de Jésus sur nous.

Les mystères douloureux sont la condition – absurde, humainement parlant –, la douleur est une condition inévitable - dans ma condition d’homme vieux, je comprends ces choses comme je ne les avais jamais comprises -, pour faire partie de Jésus, pour Lui appartenir.

Ainsi la joie finale, la gloire finale, dans les mystères glorieux, acquiert son fondement dans l’expérience de notre chair ; autrement, l’expérience de notre chair ne parvient pas à la résurrection.

De même que la mère de Jésus a été le début de Sa présence parmi nous, de même, aujourd’hui, la mère de Jésus continue à sauver dans l’histoire ce qui a été prédit, prédestiné. « Ceux que tu as sauvés, conserve-les, ô Christ. » A la Vierge, nous pouvons penser sans qu’il y ait une possibilité de se tromper – la Vierge est notre mère – Ainsi, c’est à travers l’abandon à la Vierge Marie, la supplication de la Vierge Marie, la demande à la Vierge Marie, que l’on peut se rassurer sur ce que Jésus a voulu que nous fassions, sur ce que nous sommes. C’est dans cet abandon à Marie que notre vie s’affirme avec une certitude grandiose, si bien que, en nous regardant en face dans notre compagnie chrétienne, nous voyons qu’elle est vraiment le premier reflet du salut, d’une condition humaine nouvelle.

Quel que soit notre état d’âme, chaque jour nous demandons à Marie la grâce que ce que le Christ a promis dans sa maternité pour nous, qui s’exprime dans la vérité de notre vocation, s’avère concrètement en nous faisant changer. Par conséquent, que chacun de nous, en regardant les autres – en nous regardant entre nous, en somme –, pleure de joie face à l’évidence que la Vierge, en tant qu’émergence d’une nouveauté rédemptrice, sauvera totalement dans son Fils l’existence à laquelle nous avons été appelés. Il y a un rien, un rien qui n’est pas perdu. Une chose qui n’est rien pourrait être perdue, eh bien non, elle est sauvée !

« Quos redemisti, tu conserva, Christe », conserve-nous, Seigneur, dans le salut pour lequel tu as daigné entrer dans notre vie. Telle est la suprême raison de notre joie, oui, de la certitude et de la joie, et donc de la gloire. La gloire, c’est notre joie. La joie est la certitude qui survient dans le monde de par le fait que l’on a été touché par le Mystère, dans la possession du Christ.