Cette grande force du Pape à genoux

L'intevention publiée dans « la Repubblica » du 15 mars 2000, p. 16
Luigi Giussani

Cher Directeur,
l’intérêt que votre journal a consacré au geste du Pape pour le début du Carême et les nombreuses interventions publiées dans « la Repubblica » ces derniers jours – à commencer par l’éditorial d’Eugenio Scalfari – m’ont poussé à vous demander une colonne pour une contribution personnelle.

Voir le Pape, bafoué comme Jésus Christ prophète et humilié pour toute l’Eglise, demander pardon pour les fautes commises par des chrétiens, m’émeut profondément, tout comme cela a frappé bien des personnes ces derniers temps.
Cette demande de pardon me semble l’exemple le plus brillant de la nouveauté du christianisme, marquant par là la différence irrémédiable entre le chrétien et le non-chrétien.

Pour nous, il est difficile de comprendre l’importance du geste du Pape, que l’on pourrait facilement réduire aux schémas du révisionnisme historique. Ce n’est pas un but politique ou de propagande qui anime le Pape Wojtyla ; je crois plutôt que Jean Paul II, provoqué par une circonstance favorable – la fête des deux mille ans de l’Incarnation –, a voulu démontrer la vérité de Jésus Christ et de l’Eglise. Cette vérité est portée par des hommes de chair et d’os, parce que c’est la méthode que Dieu a choisie pour se faire connaître dans l’histoire. En effet, le Mystère, qui, autrement serait resté inconnu, se communique en utilisant le facteur humain : Dieu est venu au monde comme un enfant dans le sein d’une jeune juive, en naissant de la chair exactement comme chacun d’entre nous.

Pour cela, aucune disproportion, aucune insuffisance, aucune erreur des hommes ne peut être une objection au christianisme. La limite existentielle – que la Bible appelle « péché » –, dont l’homme fait expérience, n’est pas une objection à la transmission et à la traduction du christianisme dans l’histoire, parce qu’aucune misère ne pourra éliminer le paradoxe de l’instrument, c’est-à-dire le facteur humain, choisi par Dieu pour se faire connaître.
L’Eglise est une réalité humaine dans laquelle on peut trouver des personnes indignes, grossières et de peu de cas, parfois violentes, des hommes fragiles et présomptueux, des parents inexpérimentés et des enfants rebelles. Mais l’Eglise n’est pas de l’autre côté, celui des pharisiens et des sans péché. Ainsi, le chrétien sait qu’il est pécheur, et, justement, en être conscient est le premier pas, et le plus honnête que l’on puisse faire envers soi-même et les autres, si l’on ne veut pas devenir présomptueusement intolérants et violents.

Pour cette raison, la demande de pardon des hommes à Dieu est l’acte le plus pur de l’homme qui croit en Lui et qui crie vers Dieu, comme nous le montrent chaque jour tous les psaumes d’Israël.
C’est donc pour affirmer une positivité, la positivité de Jésus Christ présent dans l’histoire et vainqueur, que l’homme demande pardon. Et c’est pour que cette positivité soit pour le monde entier que le Pape se met à genoux, prenant sur lui les fautes de tous et de chacun. Précisément, sans les juger au nom d’une morale abstraite ou de lois imposées par les hommes, mais en renouvelant la dynamique de conversion et de pardon, qui n’est pas un fléchissement, mais bien une force qui recrée l’humain face à la grande Présence. Là est la différence.

Le chrétien n’est attaché à rien, si ce n’est à Jésus. Toutes les idéologies ont un aspect commun : l’homme est sûr d’au moins une chose qu’il fait lui-même ; à celle-ci, il ne voudra jamais renoncer, ni la mettre en question. Mais le chrétien sait que ses tentatives, et tout ce qu’il possède ou fait, doivent toujours céder devant la vérité. Par conséquent, il est le seul à lutter vraiment pour la purification du monde et pour la justice. Car la justice est le rapport avec Dieu, c’est le dessein de Dieu ; partant, qui a rencontré Jésus Christ n’attend pas un seul instant pour aider le monde à être meilleur, ou, au moins, plus supportable. Mais il est profondément persuadé que le monde le persécutera toujours, l’accusant de tous les maux.

Le Pape à genoux ne m’inspire pas une image de faiblesse. Il me rappelle plutôt le Spartacus antique, qui s’érige de toute la grandeur de son humanité dans un suprême geste de liberté, comme exemple offert pour le bonheur sans cesse désiré de tous et de chacun. Ce Pape renouvelle en moi et en mes amis le courage nécessaire pour soutenir l’espérance des hommes.