Homelie de Benoît XVI pour la mort de Manuela Camagni
Dans la Chapelle Paoline, Benoît XVI a présidé, au matin du jeudi2 décembre, la messe de suffrage pour Manuela Camagni, Memor Domini de la Famille Pontificale. Le texte de l'homelie
Chers Frères et Sœurs,
dans les derniers jours de sa vie, notre chère Manuela parlait du fait qu’elle célèbrerait le 29 novembre ses trente ans d’appartenance à la communauté des Memores Domini. Elle le disait avec une grande joie, en se préparant – c’est l’impression qu’elle donnait – à une fête intérieure pour ce chemin de trente ans vers le Seigneur, dans la communion avec les amis du Seigneur. Mais la fête a été autre que celle prévue : le 29 novembre, précisément, nous l’avons conduite au cimetière, nous avons chanté que les Anges l’accompagnent au Paradis, nous l’avons guidée vers la fête définitive, la grande fête de Dieu, les Noces de l’Agneau. Trente années de chemin vers le Seigneur, en entrant à la fête du Seigneur. Manuela était une « vierge sage et prudente », elle portait de l’huile dans sa lampe, l’huile de la foi, une foi vécue, une foi nourrie par la prière, le dialogue avec le Seigneur, la méditation de la Parole de Dieu, la communion dans l’amitié avec le Christ. Et cette foi était espérance, sagesse, certitude que la foi ouvre le vrai futur. Et la foi était charité, se donner pour les autres, vivre au service du Seigneur pour les autres. Personnellement, je dois rendre grâce pour sa disponibilité à mettre ses forces au travail dans ma maison, avec cet esprit de charité et d’espérance qui vient de la foi.
Elle est entrée dans la fête du Seigneur comme une vierge prudente et sage, parce qu’elle avait vécu non dans la superficialité de ceux qui oublient la grandeur de notre vocation, mais dans la grande vision de la vie éternelle, et s’était ainsi préparée à l’arrivée du Seigneur.
Trente ans Memores Domini. Saint Bonaventure dit que dans la profondeur de notre être est inscrite la mémoire du Créateur ; et précisément parce que cette mémoire est inscrite dans notre être, nous pouvons reconnaître le Créateur dans sa création, nous pouvons nous rappeler, voir ses traces dans ce cosmos qu’Il a créé. Saint Bonaventure ajoute que cette mémoire du Créateur n’est pas seulement la mémoire d’un passé, parce que l’origine est présente, mémoire de la présence du Seigneur ; elle est aussi mémoire du futur, parce que c’est une certitude que nous venons de la bonté de Dieu et que nous sommes appelés à parvenir à la bonté de Dieu. Par conséquent, dans cette mémoire est présent l’élément de la joie, notre origine dans la joie qui est Dieu, et notre appel à arriver à la grande joie. Et nous savons que Manuela était une personne intérieurement pénétrée par la joie, précisément cette joie qui dérive de la mémoire de Dieu. Mais Saint Bonaventure ajoute également que notre mémoire, comme toute notre existence, est blessée par le péché : ainsi, la mémoire est obscurcie, recouverte par d’autres mémoires superficielles, et nous ne pouvons plus dépasser ces autres mémoires superficielles, aller jusqu’au fond, jusqu’à la vraie mémoire qui soutient notre être. En conséquence, à cause de cet oubli de Dieu, à cause de l’oubli de la mémoire fondamentale, la joie aussi est recouverte, obscurcie. Oui, nous savons que nous sommes créés pour la joie, mais nous ne savons plus ou` se trouve la joie, et nous la cherchons en différents lieux. Nous voyons aujourd’hui cette recherche désespérée de la joie qui s’éloigne de plus en plus de sa vraie source, de la vraie joie. Oubli de Dieu, oubli de notre vraie mémoire. Manuela n’était pas de ceux qui avaient oublié la mémoire : elle a vécu véritablement dans la mémoire vivante du Créateur, dans la joie de sa création, en voyant transparaître Dieu dans tout le créé, y compris dans les événements quotidiens de notre vie, et elle a su que de cette mémoire – présente et future – vient la joie.
Memores Domini. Les Memores Domini savent que le Christ, à la veille de Sa passion, a renouvelé, a élevé même, notre mémoire. « Faites ceci en mémoire de moi », a-t-il dit. Ainsi, il nous a donné la mémoire de sa présence, la mémoire du don de soi, du don de son Corps et de son Sang, et dans ce don de son Corps et de son Sang, dans ce don de son amour infini, nous touchons à nouveau par notre mémoire la présence de Dieu plus forte, son don de soi. En tant que Memor Domini, Manuela a véritablement vécu cette mémoire vivante, que le Seigneur se donne avec son Corps et renouvelle notre connaissance de Dieu.
Dans la controverse avec les Saducéens qui ne croient pas à la résurrection, le Seigneur dit à ces derniers : mais Dieu s’est appelé « Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ». Tous trois font partie du nom de Dieu, sont inscrits dans le nom de Dieu, demeurent dans le nom de Dieu, dans la mémoire de Dieu ; ainsi le Seigneur dit : Dieu n’est pas un Dieu des morts, c’est un Dieu des vivants, et ceux qui font partie du nom de Dieu, qui sont dans la mémoire de Dieu, sont vivants. Nous les hommes, avec notre mémoire, nous ne pouvons malheureusement conserver qu’une ombre des personnes que nous avons aimées. Mais la mémoire de Dieu ne conserve pas seulement des ombres, elle est l’origine de la vie : ici, les morts vivent, ils sont entrés, dans sa vie et avec sa vie, dans la mémoire de Dieu, qui est la vie. Voici ce que nous dit le Seigneur aujourd’hui : tu es inscrit dans le nom de Dieu, tu vis en Dieu avec la vraie vie, tu vis de la source vraie de la vie.
Ainsi, en ce moment de tristesse, nous sommes consolés. Et la liturgie renouvelée après le Concile ose nous enseigner à chanter « Alléluia » même dans la messe pour les Défunts. Quelle audace ! Nous sentons surtout la douleur de la perte, nous sentons surtout l’absence, le passé, mais la liturgie sait que nous sommes dans le même Corps du Christ et que nous vivons à partir de la mémoire de Dieu, qui est notre mémoire. Dans cet entrelacement de sa mémoire et de notre mémoire, nous sommes ensemble, nous sommes vivants. Prions le Seigneur de pouvoir sentir toujours plus cette communion de mémoire, que notre mémoire de Dieu dans le Christ devienne toujours plus vivante, et que nous puissions ainsi sentir que notre vraie vie est en Lui et que nous restions tous unis en Lui. En ce sens, chantons « Alléluia », certains que le Seigneur est la vie et que son amour ne finit jamais. Amen.