Photos: Jean-François Bigras

Le tutorat virtuel: une nouvelle forme de bénévolat

Pour Michelle et Jean-François, participer à une initiative de tutorat en ligne du CLU présentait un défi. Cependant, faisant confiance à leurs amis, ils les ont rejoints et ont découvert la valeur de ce moment.

Lorsqu’on m’a initialement demandé si j’avais deux heures par semaine pour faire du tutorat avec un enfant sur Zoom, j’ai pensé : « C'est une belle idée, mais non merci ». En tant qu’étudiante à l’université, j’avais déjà un horaire très chargé et toutes mes classes étaient sur Zoom. Je n’avais donc vraiment pas envie de passer deux heures supplémentaires par semaine devant mon ordinateur. Du moins, c’est ce que je pensais… Ma perception étroite des choses a été bouleversée lorsque j’ai entendu que certains de mes amis du CLU étaient non seulement partants pour ce projet, mais étaient aussi pleins d’enthousiasme. Comment pouvaient-ils embarquer si facilement? Qu’est-ce qu’ils voyaient que moi je n’arrivais pas à voir? Avec ces questions en tête, j’ai suivi – qu’aurais-je pu faire d’autre? – et j’ai moi aussi fini par plonger dans cette aventure qui s’est révélée remplie de surprises.

La première surprise était la rencontre avec le diacre qui a créé le projet, dont le but était d’aider les enfants de sa paroisse (la plupart provenant de familles immigrantes) avec leurs devoirs, à apprendre le français et à s’intégrer à la société. Il a envoyé les tuteurs deux par deux (comme Jésus avait envoyé les disciples, a-t-il dit) pour que chaque enfant ait quatre heures de tutorat par semaine. Je trouvais cette idée fantastique, car le but n’était pas de rejoindre un maximum de personnes, mais plutôt de donner tout ce que l’on pouvait à un enfant, comme s’il était le seul qui comptait.

Au début, beaucoup de choses me préoccupaient. Comment faire du tutorat à un enfant de sept ans sur Zoom? La barrière langagière rendra-t-elle les choses trop difficiles? Est-ce que je peux vraiment me donner à fond pour trois mois? Est-ce que c’est le meilleur usage que je puisse faire de mon temps? Mes doutes se sont dissipés dès que j’ai vu ce petit visage apparaitre sur mon écran. J’ai rencontré Amanda, une petite fille intelligente, drôle et curieuse qui a illuminé mes journées ternes d’école à distance. J’étais vraiment contente avec elle et j’avais toujours hâte de la revoir.

Après un mois de tutorat, nous avons eu une assemblée avec Lele. La seule question qui me venait à l'esprit était : « Suis-je vraiment en train d’apprendre à faire le travail charitable si c’est aussi facile? » C’était en effet facile et j’avais l’impression que je recevais plus que je donnais. D’autres personnes étaient aussi emballées par leur expérience. Le temps passé avec ces enfants était vraiment précieux, mais ce qui était véritablement incroyable c’était que nous étions arrivés à ce point en nous suivant les uns les autres. Nous avons suivi, car quelque chose en nous faisait confiance à cette amitié, cet endroit où nous découvrons que notre cœur a des besoins et des désirs. À la fin de l’assemblée, Lele a terminé avec cette question : « Pourquoi est-ce que je ressens tant de joie lorsque je partage mon temps?»

Durant le mois d’avril, j’étais très prise avec l’école et mes cours étaient difficiles. Je passais chaque minute réveillée à étudier, mais j’avais toujours ces deux heures par semaine où tout ce qui m’était demandé c’était d’aimer cet enfant. Même si j’étais épuisée, je me sentais vivante et avec un but clair. Ironiquement, elle aussi semblait être accablée de devoirs et elle n’avait pas le temps pour l’histoire qu’on lisait à la fin de l’heure (il faut se rappeler qu’elle a sept ans). Elle me suppliait de rester encore 15 ou 30 minutes de plus pour qu’elle termine ses devoirs. J’ai vite réalisé qu’elle n’avait pas vraiment besoin d’aide pour faire ses devoirs : elle voulait tout simplement que je sois là avec elle pendant qu’elle les complétait. Elle disait de façon claire « j’ai besoin de toi », sans aucune honte, et cela m’a vraiment dérouté. Une voix dans ma tête me criait : « Pars, elle survivra. Toi, tu as de vrais devoirs à faire », mais je ne pouvais pas l’écouter et je ne comprenais pas pourquoi.

Ces jours-là, j’étais remplie de besoins et j’étais gênée de dépendre autant sur mes amis. J’avais toujours peur de les déranger lorsque je leur demandais de l’aide. Cependant, il y avait une petite fille qui m’apprenait, dans toute sa simplicité, que dire « j’ai besoin de toi » est la chose la plus honnête et la plus belle manière de vivre, car en réalité, je suis petite et je ne peux pas aller très loin toute seule.
Michelle, Montréal


Début du mois de septembre, c’est la rentrée universitaire. Après plus d’un an d’étude à distance, je suis finalement de retour sur les bancs d’école. Étudiants et professeurs se croisent dans les couloirs, discutent de l’actualité, ou bien de la matière du cours. J’observe cette communauté universitaire qui m’avait charmée il y a de ça plusieurs années, ce lieu de savoir qui nous rassemble autour de notre désir d’apprendre, de partager et de questionner. Il y a un an, à la même date, ces couloirs étaient vides en raison de la COVID-19. Je célébrais la remise de mon diplôme et le début d’un nouveau programme d’étude seul dans ma chambre avec un ordinateur portable. Avec les études à distance, un sentiment de solitude s’était installé, une solitude que je n’avais pas connue auparavant pendant mes études. On en parlait souvent pendant l’École de communauté: étudier semblait par moment absurde ou vidé de sens lorsqu’on était tous isolés l’un de l’autre. Cette «communauté universitaire » était fragmentée.



Au mois de février, Silvia, une amie du CLU, nous avait parlé d’un projet de tutorat mis en place par des personnes de sa paroisse. Des familles qui avaient récemment immigré au Québec nécessitaient de l’aide aux devoirs en français pour leurs enfants à l’école primaire et secondaire. Lorsque cela a été proposé au CLU, plusieurs étudiants ont décidé d’y prendre part, dont moi. J'ai sauté sur cette occasion sans trop savoir ce qui me motivait. Quelques jours après avoir accepté, j'ai rencontré sur Zoom une élève du secondaire qui était arrivée au Québec il y a deux ans. Elle avait déjà réussi à apprendre la base de la langue française. Deux fois par semaine, pendant des mois de temps, je faisais du tutorat. Je redécouvrais la beauté et les mystères de la langue française, je partageais des aspects de la culture québécoise et j’en apprenais plus par rapport au pays natal de l’élève.

Au-delà de l’aide aux devoirs, le paroissien responsable du projet souhaitait créer des ponts entre ces élèves et la société québécoise, de créer des amitiés avec ces élèves pour contrer l’isolement causé par la pandémie et les mesures sanitaires. En l’espace de quelques semaines, ce projet m’avait aussi changé et avait changé la manière dont j’étudiais. Le sentiment de solitude qui s’était emparé de moi, de mes études, se confrontait sans cesse au fait que j’étais utile, que chaque semaine, je répondais à un besoin concret d’une élève. Il était beaucoup plus difficile de contempler la solitude lorsqu’à chaque fin de séance de tutorat, l’élève me disait « merci ». Ce simple «merci» me surprend encore à ce jour puisqu’il rend explicite le fait qu’à chaque semaine, je partage mon temps librement avec cette personne. Je choisis d’être présent et partager ma vie avec cette élève, non seulement parce qu’elle manifeste le fait qu’elle a besoin d’aide avec ses devoirs, mais aussi pour me rappeler que ma vie prend tout son sens lorsque j'entre en relation avec ceux qui m’entourent. Comme le dit l’artiste québécois Daniel Bélanger dans une de ses chansons : « Sortez-moi de moi ! Mais moi, j’ai des yeux qui refusent de voir, des mains qui frôlent sans toucher. Sortez-moi de moi ! »

Avec le retour sur les bancs de l’école cette année, je souhaite que le sentiment de solitude dans mes études se dissipe et que je puisse multiplier les occasions d’entrer en relation avec ceux qui m’entourent. Une chose est certaine, mes séances de tutorat continueront à m’aider et m’accompagner dans ce cheminement.

Jean-François, Montréal