L'espérance de Jojo

Les derniers jours de Jojo avec sa maladie en phase terminale sont marqués par la douleur, mais une visite inattendue lui donne de l'espérance et la paix dans la souffrance.

L’autre jour, Anne, une de mes collègues, m’a demandé : « Cri, est-ce que tu savais que Jojo est hospitalisée ? » J’étais surprise. J’apprenais que mon ancienne collègue était en phase terminale et souffrait énormément. Jojo avait travaillé toute sa vie dans la salle d’opération de l’hôpital. Elle nous avait beaucoup appris pendant sa carrière. Elle était à la retraite depuis quelques années et je la rencontrais encore à l’église tout près de l’hôpital.

Je me suis empressée de visiter Jojo à l’hôpital avec un collègue. À mon arrivée, j’ai constaté qu’elle endurait de grandes souffrances. Elle recevait un traitement par dialyse et avait de la difficulté à respirer. Son visage était enflé, elle avait perdu tous ses cheveux et ses bras étaient marqués par les perfusions intraveineuses. Elle était presque méconnaissable.

Je l’ai saluée. Elle a ouvert ses yeux, m’a reconnu, et les a refermés. Je me suis demandé si elle se sentait embarrassée. Puisque nous ne voulions pas la fatiguer davantage, je lui ai dit : « Ne t’inquiète pas, concentre-toi sur ta respiration et préserve ton énergie. Nous sommes ici en silence, nous voulions simplement te saluer. »

Je me suis ensuite agenouillée à son chevet et elle m’a décrit son état de santé. Elle était atteinte d’une tumeur rare et très agressive qui avait atteint le stade ultime de développement. Les douleurs qu’elle ressentait étaient insoutenables, au point où elle demandait que l’on mette fin à ses jours. Je lui ai répondu que nous allions prier pour que Dieu l’écoute et nous apprenne l’abandon en toute confiance entre ses mains.

Je lui ai demandé si elle souhaitait prier avec un prêtre, ce à quoi elle a répondu avoir déjà reçu l’onction et préparé ses funérailles. « Comme tu es formidable ! » lui ai-je répondu. « Tu as été une infirmière hors pair dans la salle d’opération et une mère attentionnée. Tout est sous contrôle. » Jojo avait élevé son fils unique toute seule depuis des années.

Elle m’a remercié de l’avoir visité et je lui ai posé une dernière question : « Souhaites-tu recevoir la visite d’autres collègues ? » Son visage s’est illuminé. Elle m’a fait part d’une liste de noms d’anciens collègues qu’elle souhaitait voir une dernière fois. « Et les chirurgiens ? » ai-je rajouté. « Oui ! Oui ! Oui ! » m’a-t-elle répondu, le visage transfiguré. Cette question lui avait donné espoir. Ses yeux brillaient dans l’attente de ces rencontres. Voir ses collègues lui permettrait de revisiter une partie de sa vie : celle d’une infirmière dévouée envers ses patients et ses collègues.

Le lendemain, j’ai organisé l’ensemble des visites. Malgré la nuit tourmentée qu’avait vécue Jojo, elle tenait à voir l’ensemble des collègues. Deux par deux, ils entraient dans sa chambre pour la rencontrer. Chirurgiens, secrétaires, c’était toute une communauté qui se mobilisait pour elle. Certains en ressortaient les yeux remplis de larmes, d’autres n’ont pas trouvé le courage de se rendre à sa chambre.

Le surlendemain, je suis allée la visiter. Sa pression artérielle était basse et elle m’a confié qu’elle avait demandé de ne pas se faire réanimer. Je l’ai rassurée en disant que j’aurais fait de même, mais l’idée de mettre fin à sa vie n’était plus là. « Est-ce que tu veux voir d’autres personnes ? » lui ai-je demandé. Elle m’a fait un signe de la tête indiquant qu’elle le voulait. J’étais émue par le fait qu’il ne lui fallait pas des mots pour communiquer avec son entourage. Elle parlait une autre langue, celle que seul Dieu pouvait comprendre. Elle était prête, elle avait vu ses petites-filles, sa famille et ses anciens collègues de la salle d’opération.

Un jour plus tard, elle a été déplacée pour recevoir des soins palliatifs. Je suis allée la visiter une dernière fois avec mes collègues. Elle ne pouvait plus parler, mais son visage en disait beaucoup. « Jojo, as-tu vu le nombre de personnes qui sont venues te voir ? » lui ai-je demandé. Elle était fière. Je lui ai répété les noms de ses collègues et elle a souri. « Attends-nous là-haut, nous te rejoindrons bientôt ! Nous célébrerons Noël tous ensemble. » Mon collègue a rajouté : « Nous mangerons du pancet, ta spécialité et danserons ensemble ! »

En après-midi, elle nous a quittés. Son visage était serein. Elle était contente d’avoir revu tant de personnes de son entourage. À bientôt Jojo !


Cristina, Montréal