Mary Cassatt, "Mother and Child" (The Goodnight Hug)

Comment adhérer ?

Trevor est un nouveau départ pour nous maintenant, d'une manière encore plus profonde que lorsqu'il était vivant. C'est un rappel fiable du mystère de Dieu.
La lettre de Rosie et Sean Wood dont le fils Trevor est décédé soudainement en décembre .

Le 10 décembre, notre fils Trevor, âgé de 18 mois, est mort subitement. Il avait contracté une maladie apparemment bénigne et banale le 9, et à 9 heures le lendemain matin, il était parti. Il s'est avéré qu'il était atteint d'une forme rare et invasive de streptocoque qui peut entraîner une mort rapide dans certains cas isolés. Il avait été un enfant remarquablement sain, et nous n'avons jamais soupçonné que quelque chose de grave se produisait jusqu'à ce qu'il était trop tard.

Nous passerons notre vie à essayer de comprendre ce qui s'est passé ce jour-là. Nous ferons face aux circonstances traumatisantes de sa mort et nous porterons à jamais le lourd poids de son absence. Mais nous passerons aussi notre vie à donner un sens aux nombreuses et puissantes grâces reçues en ce temps, et nous voulons les conserver et les partager avec d'autres. Nous nous trouvons dans l'émerveillement devant deux choses : le mystère de sa vie et l'abondance de l'accompagnement que nous avons reçu après sa mort. Racontant certaines de ses propres expériences, le père Rich Veras a écrit un jour : « Je ne peux nier que j'ai vu fleurir le bien au milieu de ces mauvaises choses. Le bien n'est pas moins réel que le mal. » (Wisdom for Everyday Life from the Book of Revelation, 37).

Au chevet de Trevor à l'hôpital, nous avons été surpris de sentir notre raison vivante. Près de son petit corps tranquille, nous avons senti monter en nous un jugement très clair, qui ne s'est toujours pas dissipé : Trevor était tout bon, totalement bon, un pur don. Cette prise de conscience a été douloureuse, elle est venue avec la douleur et en était inséparable : la douleur de ne pas savoir quand nous le reverrons, le sentiment que nous l'avions pris pour acquis, la sensation que nos vies, qui avaient été si liées à ses rythmes, allaient être radicalement bouleversées. Mais cette douleur a aussi révélé la profondeur du don qu'il avait été. Nous étions entourés par ce paradoxe dans cette chambre d'hôpital. S'attarder uniquement sur notre tristesse et oublier sa bonté, c'est fuir la vérité ; ce n'est pas une image complète de ce qui est arrivé à notre famille.

Les funérailles de Trevor ont été une très belle journée, même dans les moments les plus surréalistes. C'était l'occasion pour nous de comprendre sa nouvelle place auprès des saints, son petit cercueil blanc au milieu d'une église entourée de leurs images. Nous avons vu les gens faire la queue et prier devant son corps, et nous nous souvenons de leurs visages et de l'expression de leurs yeux. Nous nous souvenons d'avoir été remplis d'une joie curieuse lorsque son cercueil a été ouvert, et de la beauté de la chorale de CL chantant What Child Is This? Nous pouvons encore entendre le ton de la voix de Mgr Wingle en célébrant la messe , nous pouvons imaginer le visage du curé de la basilique, nous nous rappelons avoir vu le directeur des pompes funèbres pleurer. C'était à la fois accablant et d'une richesse infinie. Plus que de la tristesse pure, ce que nous avons ressenti, c'est une intensité incroyable.

Ce sentiment d'intensité communautaire s'est poursuivi lorsque les enfants de la petite école ont célébré Trevor la semaine suivante en lui dédiant leur spectacle de Noël. Nous avons été émus par la façon dont les autres parents n'avaient pas peur de nous ou du souvenir de Trevor, même si cela leur rappelait la mortalité de leurs propres enfants. Ils ont même mis la photo de Trevor sur une petite table à l'avant de l'église pour se souvenir de lui. Pour une raison quelconque, le curé n'a pas rangé la photo après le spectacle et il a préféré promouvoir Trevor à l'autel latéral, où il est resté sans interruption pendant la semaine précédant Noël. Nous allions à l'église le matin pour témoigner de cette étonnante situation : le visage de notre fils côtoyant les mystères de la messe. Son visage était le point de départ de chacune de ces journées. Devant le mystère de son visage, tous les mots de la messe nous paraissaient totalement plausibles. Le visage de Trevor est un nouveau départ pour nous maintenant, d'une manière encore plus profonde que lorsqu'il était vivant. Il nous a permis de découvrir une forme de contemplation qui n'est pas une invention de l'homme, mais qui est totalement ancrée dans la réalité. C'est un rappel fiable du mystère de Dieu.

Lorsque Trevor est mort, nous avons été soutenus par les autres de manière incroyable. Cela a commencé dès l'instant de sa mort. Deux amis de notre Fraternité, Ben et Claire, sont venus immédiatement aux urgences. Ils n'ont pas hésité à venir avec nous ou à rester assis près de son corps. Avoir des amis pour passer du bon temps et se détendre est une chose, mais avoir des amis qui se précipitent à vos côtés dans vos pires moments, devant un spectacle aussi terrifiant, est une toute autre chose. Des semaines plus tard, nous nous demandons encore d'où est venu ce courage. Qui sont ces gens qui, sans se laisser décourager par une mort insensée, se précipitent à nos côtés, certains de rencontrer quelque chose de bon ?

« Qui sont ces gens ? » est devenu un refrain continu dans la semaine qui a suivi la mort de Trevor. Monseigneur Wingle, que nous connaissions à peine, nous a accompagné constamment avec sa présence paternelle pendant la semaine des funérailles. Il a clairement ressenti notre douleur, mais a été une forteresse d'espoir; il a encouragé un climat de silence, mais a célébré l’esprit enfantin de Trevor; il nous a donné de profonds conseils spirituels et a traîné avec nous dans un restaurant. John et Cécilia nous ont accueillis dans leur maison pendant plus d'une semaine - ils nous ont simplement remis une clé et nous ont dit de rester aussi longtemps que nous le voulions. Ils nous ont permis de faire venir des visiteurs pour des soupers de 15 personnes à la dernière minute et se sont assis avec nous lorsque nous avions trop de choses à dire et lorsque nous ne savions plus quoi dire.


Les gens sont restés avec nous de manière si exceptionnelle que les membres de notre famille venus de l'extérieur de la ville l'ont remarqué et ont spontanément attiré l'attention sur ce fait. La mort de Trevor a fait voler en éclats les frontières et a rapproché les choses divisées - sa mort a«révélé les pensées et les cœurs de beaucoup ». Nous avons reçu des nouvelles de personnes à qui nous n'avions pas parlé depuis 20 ans, nous avons été touchés par l'amour des collègues avec lesquels nos relations n'étaient autrefois que professionnelles, nous avons reçu des repas d'inconnus et nous avons reçu des fleurs de la police. Pendant un instant, Trevor a suspendu les lois de la physique humaine, et les impossibilités ont volé en éclats sous nos yeux.

Aucun de ces encouragements et accompagnements n'a effacé nos questions. Nous avons encore envie de le voir tous les jours. Où est parti notre fils ? À quoi a servi sa vie ? Pourquoi sommes-nous encore là alors qu'il n'est plus là? Est-ce que l'un d'entre nous « mérite » cela ? Qu'est-ce que cela signifie de vivre une vie épanouie, et est-il vraiment épanoui maintenant ? Nous n'avons pas reçu de réponses à ces questions, mais la taille de celles-ci est continuellement égalée par le soutien toujours plus grand que nous recevons de ceux qui nous entourent. Chaque réalité indique quelque chose sur l'autre; nos questions sont éclairées par l'approfondissement de nos amitiés.

Nous constatons souvent que nos amis sont tout aussi silencieux que nous face à nos questions. Trevor n'était qu'un petit enfant, alors pourquoi avons-nous l'impression que tous les adultes cherchent à le guider ? La brève mais belle vie de Trevor révèle une vérité pour nous tous. Nous traversons la vie en cherchant l'épanouissement, un épanouissement qui est bien plus grand que le simple fait de grandir, un épanouissement que l'on peut entrevoir dans l'unité d'une famille et la joie d'un enfant. Trevor n'a pas eu l'occasion de grandir. Dieu ne lui a pas demandé d'affiner sa volonté et sa liberté au cours d'une vie. Au contraire, il a choisi de lui donner une vie presque parfaite, pour le garder près de lui. C'est un rappel provocateur que ce que nous désirons le plus est de vivre la vie comme Trevor l'a fait, pleine de joie et proche de notre créateur.

Les événements du mois dernier ont une telle densité, et nous avons le sentiment qu'ils ne font que commencer à se déployer. Notre travail, nous le sentons, est de permettre à ce qui est arrivé de résonner et de continuer à se produire. Nous n'avons jamais mieux compris ce qu'est la prière - Giussani appelait la prière “prise de conscience” , et nous constatons qu'il n'y a pas d'autre moyen de s'engager dans ce qui s'est passé que la prière ; tout le reste est partiel. Et la prière dans cette situation est aussi simple que de permettre à ce qui s'est passé de continuer à se produire : en gardant ces choses dans notre cœur, incompréhensiblement bon et incompréhensiblement mauvais, qui sont si mystérieusement entrelacés.

Notre question maintenant est : comment adhérer ? Tant de choses qui nous occupaient, et qui occupent ceux qui nous entourent, ressemblent de plus en plus à des distractions de cette tâche essentielle : comment adhérer ? Qu'est-ce qui s'écrit en ce moment ? Les grâces puissantes dont nous avons été témoins nous rendent certains que cette intrusion du mystère dans notre vie n'est pas pour rien, ne se limite pas à son apparence insensée et brutale. Nous avons vu que la réalité est terrible, mais nous avons aussi vu qu'elle est pleine d'une promesse. Comment continuer à regarder dans la profondeur de ce qui s'est passé ?


Rosie et Sean Wood, Montreal