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« Cela en vaut-il la peine? » : Réflexions sur l’été

Lors d'une randonnée, un groupe d'amis est interpellé par un inconnu qui leur demande si la randonnée en vaut la peine. Cette question apparemment simple génère une conversation plus profonde entre eux.
Adam

Six heures après avoir entamé une randonnée le long des falaises de la Peninsule-Bruce, mes deux amis et moi avons croisé un groupe de jeunes hommes au tout début du même sentier que nous étions sur le point de terminer. En les passant, l’un d’eux nous a arrêtés et nous a demandé : « Cela en vaut-il la peine? Cela vaut-il la peine de continuer? » La question nous a déroutés : qui conduirait une telle distance seulement pour se demander maintenant si cela en valait la peine? Sans hésiter, nous lui avons dit « oui » en riant et nous avons poursuivi notre chemin.
La question a resurgi quelques jours plus tard, lorsqu’un de mes amis a attiré mon attention sur ce que je n’avais jusqu’à alors pas remarqué : « J’ai réalisé que je ne suis pas différent de ces jeunes hommes, car j’ai la même question. Je désire savoir si la manière dont j’utilise mon temps en vaut la peine. Je veux comprendre si mon temps a une signification ». L’observation de mon ami m’a immédiatement happée, car j’ai réalisé que j’avais moi aussi cette même question. À plusieurs reprises dans ma vie, alors que j’étais loin de savoir si mon temps était bien utilisé, je prenais souvent des décisions sans avoir de raisons claires. La plupart du temps, ma première impulsion était une simple attraction, un sentiment d’obligation ou tout simplement un désir de ne rien rater. Tôt ou tard, ces instincts ne suffisent plus et à une certaine jonction, il est urgent d’avoir les raisons adéquates pour pouvoir continuer.

La question initiale ne s’est pas envolée. Deux semaines plus tard, avec quelques amis, nous sommes arrivés au sommet du « Crack », une randonnée de 8 kilomètres dans le Parc provincial Killarney qui culmine avec une montée rocheuse traître. Une fois rendus au sommet, nos corps étaient défoncés et nos vêtements trempés. Quand nous nous sommes tournés pour voir la belle vue que nous avions attendue toute la journée pour voir, nous avons heurté une épaisse brume. Exactement à ce moment, un randonneur au sommet s’est retourné vers nous et nous a demandé si la journée en avait valu la peine. Son visage dévoilait sa déception. Cette fois, la question nécessitait une plus longue pause et j’ai tout de suite pensé à mes deux amis avec qui j’avais passé la journée. C’est vrai, il n’y avait pas eu de «récompense » pour nos efforts, mais la journée n’avait manqué de rien. En fait, je pouvais voir une union entre nous qui n’était pas là au début de la journée. Je n’ai pas pu m’empêcher de lui répondre par l’affirmative.



Trois semaines plus tard, j’arrivais avec des amis aux portes de la Basilique de Sainte-Anne-de-Beaupré après un voyage d’une semaine autour de la péninsule gaspésienne. Durant l’homélie, le prêtre célébrant a posé une question toute simple : « Qu’est-ce que la foi? », ce à quoi il a répondu : « La foi est avant tout un cadeau. Si vous l’avez reçu, les conséquences de ce cadeau sont la créativité et l’initiative. Si vous avez pris l’initiative d’arriver jusqu’ici - peu importe le moyen employé - c’est assurément que vous avez reçu le cadeau de la foi ». Marqué par ces mots, j’ai quitté la basilique en me rappelant de nouveau les choses qui m’étaient arrivées pour m’amener jusqu’à cet endroit.

Avec chaque rencontre, j’étais continuellement surpris de trouver que chaque personne que je rencontrais (que ce soit en randonnée ou en pèlerinage) était, d’une manière ou d’une autre, en train de me poser la même question. Chacun désirait savoir si le temps et l’énergie dépensés au cours d’une longue journée en valaient la peine. Sans une réponse satisfaisante à cette question, lorsque le sacrifice est trop grand ou que la réalité ne correspond pas aux images qu’on s’est faites, les conséquences sont la déception et la trépidation.

Ces rencontres m’ont mené à me poser ces mêmes questions : comment suis-je arrivé à un endroit particulier? Quelle est la valeur d’un sacrifice? Cela vaut-il la peine de continuer? Mais j’ai aussi commencé à reconnaitre que je pouvais trouver les réponses à ces questions directement dans mon expérience. Au lieu de poser ces questions au néant, ou de déléguer la réponse à un autre, j’ai réalisé que chaque moment de l’été était une petite – mais concrète – occasion de trouver les façons dont le Christ se manifeste. Dans son livre, Y a-t-il un espoir?, le père Carron nous invite justement à faire ce travail de comparaison :
« Pour atteindre la certitude de la présence du Christ, pour nous approprier l’espérance qui nous est communiquée en ce lieu, une vérification personnelle est nécessaire, afin que l’évidence du début s’approfondisse et devienne conviction. Ce que nous avons rencontré ne devient pas nôtre par magie ou par sentimentalisme, mais grâce à une trajectoire d’expérience dans laquelle l’intuition initiale se confirme. Nous l’avons dit, c’est la même dynamique qu’ont vécue les Apôtres : “ et ses disciples crurent en lui ˮ ».
Cet été, j’ai découvert que c’est en marchant que l’on découvre les vraies raisons de notre cheminement. Avec du recul, on constate que ces raisons, initialement cachées, étaient en fait présentes dès le début de notre route. J’ai également constaté que le chemin vers la certitude est pavé de ces petites preuves : la question d’un étranger en randonnée, les mots d’une homélie ou une journée passée entre amis.

Il semble pertinent que mon été se soit terminé sur une montagne. Alors que mon ami et moi approchions l’un des derniers sommets, nous avons rencontré un groupe de gens de la région qui nous ont suggéré une randonnée à faire le lendemain. Avec grande insistance, ils nous ont dit : « Cela en vaut la peine! » Y a-t-il une meilleure raison pour marcher?